Plusieurs photographes se demandent, en dépit des multiples règles de composition, comment produire de meilleures photos. Il existe une technique très simple qui consiste essentiellement à attribuer un titre à vos images. Par exemple, vous venez de prendre en photo un paysage. Si celle-ci vous « parle », qu’elle évoque chez vous un sentiment, une émotion, vous pourriez lui donner un nom ressemblant par exemple à: « paysage un matin d’automne ». Il faut que le nom provoque une émotion chez le spectateur pour que cette technique fonctionne. Comment cette technique peut vous faire progresser? En attribuant un titre à votre photo, vous lui donnez une vie, vous lui permettez d’exister sans que de longues explications soient nécessaires. Elle devient une « oeuvre » plutôt qu’une simple « bonne photo ». Toutefois, ce ne sont pas toutes les images qui peuvent être ainsi valorisées par un titre. Voici mes explications.
Donnez vie à vos photos
Alors qu’une photo sans intérêt, ne vous « parlera pas », si vous parvenez à réaliser une photo qui « exprime » quelque chose, vous aurez alors franchi une étape vers l’élaboration d’un style. HCB et Robert Frank ( comme la plupart des grands maîtres qui ont marqué l’Histoire de la photo) utilisaient cette technique pour finaliser leur travail. En regardant leurs images, spontanément, celles qui suscitaient en eux une émotion, ils la marquaient sur leur planche-contact. Ils passaient ainsi en revue toutes les photos qu’ils avaient prises durant une journée, pour ne garder que celles à laquelle ils pouvaient attribuer un nom (ou un titre). Ce fut le cas par exemple pour une des photos un peu moins connue de HCB « Le Baiser du Quartier Latin ».
En regardant cette photo (qui date de 1936), HCB, lui a attribué un nom, sachant que cette photo était différentes des autres. Elle évoquait en lui un souvenir de sa jeunesse. Tout était là, parfaitement composé, les sujets se trouvant dans une position parfaite et le chien les observant, qui dirige le regard vers ces deux jeunes personnes. Il put ainsi lui attribuer un nom parce qu’elle lui « parlait », bien que cette photo n’ait rien d’exceptionnelle. Mais pour HCB, le thème du baiser est révélateur d’un rapport entre le temps et les individus. Il possède un sens qui est intensifié par un titre. Nous pourrions dire que le fait de nommer une photo, lui donne une vie qui « dépasse » la simple représentation factuelle. Le photographe John Paul Caponigro disait:
Les bons titres complètent les œuvres en donnant aux spectateurs des informations pertinentes qui rendent leur expérience plus enrichissante, mais sans limiter leur attention […] et en laissant une place à l’interprétation. Les mauvais titres dominent ou subvertissent les œuvres en tentant de compenser ce qui manque.
Mieux qu’une règle
Cette technique est rarement enseignée en photographie. Les photographes préfèrent utiliser toutes sortent de règles plus ou moins absconses, qui sont parfois si complexes à utiliser, qu’elles sont rapidement oubliées ou mises de côté. Cette technique peut se faire lors de la prise de vue, mais c’est surtout lors de l’édition que vous reconnaîtrez une oeuvre photographique. Vous ressentirez en vous un sentiment qui vous indiquera que vous avez devant vous une photo sortant de l’ordinaire.
Plusieurs photographes qui tentent, avec plus ou moins de succès, de « refaire » une photo en lui appliquant des presets dans Lightroom ou en jouant avec les différents curseurs, n’y parviennent pas (ou rarement). Pourquoi ? Parce qu’une mauvaise photo restera une mauvaise photo, quoi que vous fassiez. Mais lorsque vous êtes devant une photo qui « parle », le post-traitement devient inutile puisque tout est déjà là, cette étape ne sert qu’à « sublimer » un peu plus ce qui est est déjà parfait, en corrigeant certaines petites imperfections, comme la BDB ou le passage au N&B si cela correspond à votre style.
À ses débuts en photo, bien que Cartier-Bresson ait été frustré par l’approche «chargée de règles» d’Andrée Lhote. L’enseignement théorique rigoureux de ce dernier lui a ensuite permis d’identifier et de résoudre des problèmes artistiques et de composition en photographie.
Car rappelons que dans les années 1920, des écoles en photographique apparaissaient dans toute l’Europe, mais chacune avait une vision différente de la direction que la photographie devrait prendre. Le mouvement surréaliste, fondé en 1924, a été un catalyseur d’un changement qui devenait essentiel. Cartier-Bresson commença à socialiser avec les surréalistes au Café Cyrano, sur la Place Blanche. Il a rencontré un certain nombre de protagonistes des principaux acteurs de ce mouvement, et a été attiré par la technique du surréaliste utiliser par le subconscient et l’immédiat pour influencer son travail. L’historien Peter Galassi explique:
Les surréalistes abordent la photographie en s’approchant de la rue: avec un appétit vorace pour l’habituel et l’insolite. Les photographes ont reconnu une qualité essentielle qui avait été exclue des théories antérieures. Ils ont vu que les photographies ordinaires […] contiennent une foule de significations imprévisibles et inconscientes.
En adoptant cette approche, jumelée à l’attribution d’un nom à vos photos, cela vous permettra de progresser car vous ne serez plus entravé par des règles compliquées. Votre inconscient fera tout le travail. Toutefois, comme il est spécifié dans ce texte, il vous faut une base. Mais lorsque vous la maîtrisez, une photographie, pour qu’elle puisse « vivre », doit avoir un titre afin de la personnaliser, de lui donner une « vie autonome » et de faire ressortir ce que la rend unique.
HCB disait souvent :
La photographie n’est pas comme la peinture. Il y a une fraction créative d’une seconde quand on prend une photo. Il faut voir une composition ou une expression que la vie vous offre et vous devez savoir quand cliquer. C’est à ce moment que le photographe devient créatif. Ce moment; une fois que vous l’avez raté, il ne reviendra plus jamais.
Plus concrètement
Tout cela peut paraître bien abstrait pour les photographes débutants. Alors je vais être plus concret. Supposons que vous venez de pendre en photo un joli pont, avec des passants qui déambulent nonchalamment ou qui font leur jogging matinal. Vous devez vous poser cette question: que représente-t-telle pour moi ? Si la réponse est: « un pont avec des passants », il y bien des chances pour que votre photo soit techniquement parfaite, mais sans intérêt.
Si au contraire la réponse à cette question est: « la dure réalité d’une vie de labeur » ou « l’éveil d’un peuple ». Quelque chose de ce genre. Vous venez probablement de réaliser une bonne photo. Il ne faut évidemment pas vous forcer pour trouver un nom « intéressant », celui-ci doit vous venir de votre photo, de ce qu’elle suggère et génère en vous. Si votre image est plus qu’une simple photo, ce nom vous viendra pas sans effort. Je vous l’accorde, le lieu où la photo a été prise influencera l’importance et la gravité d’une scène. Mais vous pouvez vous trouver dans un pays étranger et réaliser des photos d’une grande platitude !
Donc en conclusion nous pourrions dire qu’une photo, pour qu’elle soit réussie, elle doit pouvoir être baptisée comme un enfant, en vous basant sur ce qu’elle suscite en vous, qui peut être résumée par une « fascination spontanée ». Une simple reproduction du réel est d’un ennui mortel. Faites comme HCB, déracinez-la du réel et donnez-lui un sens en la nommant. De cette façon, vos photos prendront vie ! Si vous ne parvenez pas à leur attribuer un nom, jetez-les; elles sont probablement sans vie ! Je vous explique cette technique car j’ai vu des centaines de photos affichées sur des murs qui étaient sans intérêt, mais qui étaient techniquement parfaites. Et si quelqu’un vous dit que votre photo n’est pas bonne, mais que vous ressentez une émotion en la regardant, oubliez l’opinion de cette personne; elle n’a probablement rien compris !
La différence être ces deux aspects est énorme; d’une le premier cas vous avec une belle photo, dans l’autre, vous êtes devant une « oeuvre » photographique. Si vous êtes incapable de faire la différence être ces deux aspects et que vous voulez réellement progresser en photo, vous devrez apprendre à reconnaître « une oeuvre » d’une photo que l’on oubliera après cinq minutes !
Au sujet de l’auteur
Darren Rowse est un photographe, éducateur et formateur qui vit à Melbourne en Australie. Vous pouvez découvrir son travail en visitant sa page Instagram, Twitter ou sur Facebook.
crédit photo : Henri Cartier-Bresson