En février, Nikon, le deuxième fabricant d’appareils photo au monde selon les parts du marché de la photo, a publié un avis révélant «des pertes extraordinaires». L’entreprise nipponne a admis que, au cours des neuf derniers mois de 2016, elle avait perdu 260 millions de dollars. Suite à cette annonce, le prix des actions de Nikon a chuté de 15 pour cent et les fidèles utilisateurs ont paniqué.
Les photographes ont tendance à investir beaucoup d’argent dans un système, en achetant plusieurs optiques et des boîtiers conçus pour fonctionner ensemble. Pour ces millions d’utilisateurs qui ont investi dans le système Nikon, l’annonce a exacerbé les craintes existantes concernant le déclin de l’industrie des appareils photo numériques et de ses principaux acteurs.
Le rapport publié par Promuser pour janvier 2017 a confirmé que la production totale des boîtiers numériques a diminué de façon constante et ne représente actuellement plus que la moitié des 45 millions d’unités produites en octobre 2014. Le nombre d’unités expédiées est également en baisse avec une chute de 1,6% en janvier, sans signes d’amélioration pour le reste de l’année.
Innovation et stagnation
Ce déclin est curieux, du moins dans la manière dont il se déroule. Outre Nikon, peu ou aucun des principaux fabricants n’a reconnu qu’il y avait un problème. Nikon a annulé sa série DL, mais le leader du marché qu’est Canon a dévoilé son plus récent modèle professionnel – l’EOS 5D Mk IV – en septembre de l’année dernière. Cet appareil était universellement reconnu comme étant excellent technologiquement, mais des critiques suggéraient que Canon n’avait pas assez modifié le modèle précédent – le Mk III – pour justifier une mise à niveau.
Le photographe, Ken Rockwell, a déclaré concernant cette nouvelle version:
Je suis tellement étonné que Canon ait choisi de présenter ce 5D Mk IV. Il est doté de la plupart des fonctionnalités que l’on retrouve déjà dans le 5D Mk III. La série 5D n’est pas un gros vendeur par rapport aux reflex de Canon [de niveaux moins professionnels]. Nous devrions donc être heureux que Canon développe activement de nouveaux modèles qui ne lui apportent pas de grands bénéfices (et nuisent aux ventes des autres appareils Canon), mais qui nous donnent tant de choix au niveau des boîtiers.
Cette déclaration est parfaitement représentative de l’un des principaux problèmes du marché: un manque d’innovation. Contrairement à d’autres secteurs stagnants, comme les ordinateurs portables et les téléviseurs, aucune alternative convaincante n’a encore remplacé les appareils photo numériques. Ils sont encore largement utilisés et appréciés, en particulier à un niveau professionnel où les petits appareils intelligents ne peuvent pas les concurrencer, mais l’incitation à une mise à niveau régulière s’est érodée.
Les incitatifs qui ont permis de proposer les mises à niveau de ces appareils photo, tels que le nombre de mégapixel et la taille des capteurs, sont largement remises en question. Les utilisateurs de Canon, par exemple, ont passé de nombreuses années à réclamer un plus grand nombre de mégapixels, ce qui nous a donné les modèles EOS 5DS et 5DSR de 2015 avec des capteurs étonnants de 50,6 mégapixels.
Dans un même temps, Fujifilm a concentré ses efforts sur une gamme d’appareils photo attrayants et fonctionnels avec des capteurs beaucoup plus humbles de 16 mégapixels (maintenant augmentés à 24 mégapixels). Cette gamme a été un succès critique et financier, ce qui prouve que l’ergonomie et la qualité de construction sont plus que des spécifications techniques abstruses.
« Je pense que les gens qui cherchent à imprimer des photos de grande taille peuvent être attirés par de plus grandes tailles », a déclaré le photographe professionnel de mariage Kevin Mullins. « Je crois que la taille [des capteurs ] de Fujifilm est parfaite; j’ai déjà imprimé des photos de trois mètres de large, et je pense que la taille de ces appareils est parfaite ».
Peu d’incitation pour un nouvel appareil
La montée en puissance de Fujifilm en tant que concurrent sérieux de Canon et Nikon – aux côtés d’autres fabricants des « sans miroirs » tels que Sony et Olympus – s’est fait beaucoup plus rapidement que les deux autres grands de l’industrie de l’image. Ces fabricants ont besoin d’innovations importantes pour se démarquer, et pourtant, l’innovation est exactement ce manque dans cette industrie.
Canon fabrique ses propres capteurs numériques, mais la majorité des autres grands fabricants (y compris Nikon et Fujifilm) utilisent les capteurs Sony, rendant le marché étonnamment uniforme. Ce dernier est souvent terni par des caractéristiques superficielles, mais le fait est que la plupart des appareils photo numériques haut de gammes sont exactement les mêmes que les anciens modèles des cinq dernières années.
De plus, il y a peu de chances qu’ils changent énormément dans un proche avenir. En conséquence, il y a peu d’incitation à les mettre à niveau aussi souvent que les fabricants le voudraient, ce qui explique les faibles ventes et la stagnation rapide des niveaux produits.
« Si vous êtes à la recherche d’un nouvel appareil et que vous n’en avez pas déjà … vous aurez du mal à prendre une mauvaise décision », a écrit l’année dernière le journaliste Vlad Savov du site internet The Verge. « Si vous possédez déjà un appareil depuis moins de cinq ans, vous n’aurez probablement aucune envie ni le besoin de le mettre à niveau. La technologie d’imagerie numérique a mûri [et] sa maturité vient avec une sorte de stagnation du développement. »
Tangible et vrai
Le problème auquel les fabricants font face maintenant est la façon d’innover. Un remaniement radical est nécessaire. Fujifilm, en continuant sa série très imaginative, qui lui permet de rivaliser avec la domination de Canon et Nikon, a peut-être trouvé la réponse.
Des enregistrements sur des disques en vinyle aux films hollywoodiens sur pellicule celluloïd; les appareils analogiques ont fait un retour étonnant. La photographie, il n’y a pas si longtemps, était aussi un processus entièrement analogique, et la photographie argentique est maintenant largement adoptée par les photographes à la recherche de quelque chose de nouveau.
Il peut sembler étrange de décrire le film comme «quelque chose de nouveau», mais selon un sondage de 2015 réalisé par le fabricant britannique Ilford Photo, a révélé que 30 pour cent des utilisateurs de films avaient moins de 35 ans et que 60 pour cent avaient commencé à utiliser le film argentique au cours des cinq dernières années. Cette tendance croissante n’est pas passée inaperçue par Fujifilm, et la société a commencé à concevoir des appareils de la gamme Instax avec plus d’assiduités. Bien que ces appareils ont été lancé en 1998, au départ, seulement 100 000 unités Instax ont été vendues, alors qu’en 2015/16 les ventes pour ces appareils sont monté en flèche avec cinq millions d’unités.
«À une époque où nous sommes envahis d’images numériques, avec des centaines de photos légèrement différentes dans les médias sociaux, la simple joie d’avoir une image imprimée est vraiment attrayante», a déclaré Chris Chater, Manager d’Instax Business de Fujifilm pour le Royaume-Uni et l’Europe. « Il y a un appétit croissant pour les appareils analogiques: les gens vont toujours avoir envie de tenir quelque chose de physique entre les mains ».
Les appareils analogiques ?
Les appareils Instax sont vendus dans des boîtiers en plastique brillant et souvent en éditions limitées en collaboration avec Michael Kors. Cette stratégie axée sur la spécificité des appareils photo numériques, s’est avérée très réussie. Au cours de l’exercice financier 2015/16, les Instax ont été vendus quatre fois plus que les appareils photo numériques de Fujifilm.
Les professionnels s’intéressent également à ce segment. « Je vais souvent prendre une photo avec un Instax pour la donner à un client », a déclaré Mullins. « Ils ne remplacent pas les impressions de haute qualité, mais il est agréable d’obtenir une impression directement de l’appareil et de la remettre au client ».
Lentement, ce succès a commencé à être reconnu par les marques concurrentes. Leica, dont les produits phares sont souvent vendus £ 5 000, a récemment lancé l’appareil instantané Sofort-one, légèrement plus cher que la gamme Instax, et visant directement à populariser ce concept à des utilisateurs plus sérieux et adultes.
À mesure que les ventes des appareils photo numériques continuent de ralentir et que les fabricants ont du mal à exciter les consommateurs, les principaux acteurs feraient bien d’arrêter d’ignorer la renaissance des boîtiers analogiques. Leur potentiel de croissance est clair […]. Il faudra du courage pour investir dans ce que plusieurs acteurs de l’imagerie mondiale considèrent encore comme un segment « mort », mais les opportunités sont claires: un marché passionnant, largement inexploité attend.
A propos de l’auteur
Temoor Iqbal est un photographe de rue habitant à Londres. Vous pouvez découvrir son travail en visitant son compte Instagram et Twitter. Cet article a été publié sur le site The New Economy. Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que son auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de ce site.