L’une des idées les plus intéressantes tirées du livre de Nassim Taleb «Antifragile» est son concept de «via negativa», ou « l’apophatisme« . Le concept est le suivant: lorsqu’on décrit quelque chose, les descriptions négatives fonctionnent mieux et permettent d’atteindre des formes supérieures de la connaissance. Qu’est-ce qu’une description négative? C’est de décrire ce qu’une chose n’est pas pour mieux la définir.
Par exemple, il est difficile de décrire ce qu’est «Dieu», mais il est facile de décrire ce qu’il n’est pas. De même, il est difficile de décrire ce qu’est la pornographie, mais il est facile de décrire ce que la pornographie n’est pas. Pensez à cette fameuse expression en anglais : « I know it when I see it » (Je le sais quand je le vois). Cette phrase a été utilisée en 1964 par le juge Potter Stewart de la Cour suprême des États-Unis pour décrire les critères permettant de définir l’obscénité, en expliquant pourquoi le matériel en cause n’était pas obscène, ce qui a redéfini les critères constitutionnels pour déterminer ce qui constituait un matériel obscène.
La «via negativa»
Cette idée de ce qui n’est pas, peut s’appliquer en photographie de rue. Pourquoi? Parce qu’il y a autant de points de vue sur ce qui constitue la photographie de rue qu’il y a des photographes. Mais la plupart des gens s’accordent sur la définition de ce que la photographie de rue n’est pas. Par exemple, la photographie de rue n’est pas de la photo de paysages, de fleurs et de macro et d’insectes. Je viens de commencer à lire «Managing Oneself» par Peter Drucker, et dans l’un des chapitres il a écrit ce qui suit:
La plupart des gens pensent qu’ils savent dans quoi ils sont bons. Ils ont généralement tort. Plus souvent, les gens savent dans quoi ils ne sont pas bons.
Cette faculté de l’être humain de voir ce qui est négatif, lui permet souvent de savoir dans quoi il sera bon. Par exemple, je savais que je ne serais pas bon dans tout ce qui implique les mathématiques ou la science. Cela a automatiquement limité mes choix. Toutefois, je savais que j’aimais les gens. Cela m’a permis de faire de bons choix de carrière. Je savais aussi que j’aimais le N&B ainsi que les scènes de rue et la composition.
Ainsi, en appliquant ce même raisonnement à la photographie, beaucoup de gens ne connaissent pas leur style, vous devez donc vous demander ce que vous n’aimez pas en photographie. Cette approche de la «via negativa» est plus qu’un simple slogan, c’est une méthode pour que vous puissiez trouver votre style sans avoir à tester plusieurs styles. Voici des exemples plus concrets:
- Pour certains photographes, ils n’aiment pas prendre des portraits.
- Certains photographes n’aiment pas être « sournois » lorsqu’ils font de la photo de rue.
- Certains photographes n’aiment pas les photos en couleur.
- Certains n’aiment pas le noir et blanc.
- Certains photographes n’aiment pas travailler sur des projets préparés d’avance.
- Certains photographes n’aiment pas travailler sans cadre ou une structure.
- Certains photographes n’aiment pas leur propre quartier.
- Certains photographes n’aiment pas voyager.
Alors, quel genre de photographie n’aimeriez-vous pas être ? Je pense que beaucoup d’entre vous font de la photographie parce qu’ils n’aiment pas d’autres modes d’expression créatifs. Ce n’est pas nécessairement toujours le cas; certaines personnes peuvent également aimer le dessin, mais souvent ils pratiquent un art, quel qu’il soit, parce qu’ils n’aiment pas une autre forme d’art ou ne la maîtrise pas suffisamment pour l’apprécier et la pratiquer.
La question
J’en arrive donc à cette question fondamentale, pour savoir quel type de photographe vous voulez être, demandez-vous : quel genre de photographe je ne veux pas être ?
Nous pouvons prendre cette maxime »via negativa »et aller encore plus loin en l’appliquant au bonheur. Nous ne savons souvent pas ce qui nous rend heureux, mais nous savons ce qui nous rend malheureux. Qu’est-ce qui nous rend malheureux? Peut-être est-ce un patron de merde, un trajet long et ennuyeux, des relations toxiques ou un sentiment de manque de liberté dans notre vie.
Alors, comment pouvez-vous faire exactement le contraire de ce que vous n’aimez pas afin de savoir quel type de photographe vous êtes ? Vous devez simplement vous poser la question que susmentionnée. Certaines personnes diront que tout cela est très compliqué, mais en réalité, c’est très simple. Pourtant que je connais des photographes qui ont trouvé leur voit après de longues années d’errance entre différents styles. La « via negativa » vous permet de savoir quel genre de photographies qui vous attirent en quelques jours ou quelques mois pour certains !
Se démarquer
Si votre but est de vous démarquer de la masse en devenant un grand photographe, ne vous laissez pas coincer dans une vision à court terme. N’essayez pas de devenir une star d’Instagram. Faites plutôt le contraire: travailler sur des projets qui vous ressemblent et publier des livres.
Si vous faites parti d’une communauté de photographes qui est toxique, cynique et égoïste – quitter ce groupe, et trouver un groupe de gens qui sont aimants et encourageants. Se débarrasser d’une personne négative dans votre vie équivaut à ajouter 10 personnes vraiment positives à votre vie. Afin de déterminer quels types de photographe vous êtes, regardez les photos sur Instagram, Tumblr ou Flickr. Vous découvrirez des photos que vous n’aimez pas. Cela vous obligera a étudier plus profondément le travail des grands maîtres, et de lire des livres sur la photographie. En résumé, trouver ce que vous pouvez soustraire de votre vie avec le » via negativa « .
Savoir soustraire pour mieux se connaître
Quelques idées pour ceux qui n’auraient pas bien compris ce concept: débarrassez-vous de votre équipement photographique pendant quelques jours. Débarrassez-vous des personnes négatives dans votre vie. Débarrassez-vous des livres sur la photographie dans votre bibliothèque; et concentrez-vous uniquement sur ceux qui vous inspire vraiment. En faisant ce petit exercice tout simple, vous découvrirez ce qui vous plaît vraiment dans votre équipement. Vous découvrirez les maîtres qui vous inspirent. Pourquoi? Parce que vous ressentirez le besoin d’utiliser le mat.riel qui vous aimez. Vous ressentirez le besoin de lire les livres qui vous aident vraiment à développer votre art.
Plus qu’une méthode !
La « via negativa » est plus qu’une méthode, c’est un moyen de vous recentrer sur vous-même en découvrant l’essentiel, ce qui vous motive à être un photographe. Ce temps de réflexion peut être plus ou moins long selon les gens. Ne vous fixez pas de limite. Laissez-vous imprégner par la « via negativa ». Oubliez tout ce que vous avez appris, tout ce que les autres ont dit sur votre travail, toutes les règles que vous appris, toutes les techniques en photographie, toutes les idées préconçues. Passez à un mode introspectif pendant quelques jours en oubliant vos tracas, votre travail ou vos amis. Vous serez surpris par ce que vous allez découvrir !
En terminant, je citerai un passage dans le livre de Nassim Taleb, car c’est dans des moments d’introspection, que vous découvrirez votre style.
Vous partez vers une enquête sur l’opacité, la chance, l’incertitude, la probabilité, l’erreur humaine, le risque et la prise de décision dans un monde que nous ne comprenons pas.
Au sujet de l’auteur
Eric Kim est un photographe de rue reconnue pour son talent à pousser son art à ses extrêmes limites. Vous pouvez découvrir son travaille en visitant son site internet, sa page Facebook, ou son blog.
crédit photo : Eric Kim
2 Responses
Voici une technique dont je connaissais des approches similaires dans d’autres domaines, mais à laquelle je n’avais jamais songé à appliquer en photographie. Par exemple, une technique de créativité consiste à travailler sur l’opposé d’un problème pour contourner nos blocages psychologiques et ainsi trouver facilement les solutions possibles (« l’opposé du contraire »). De même, un médecin va poser des questions et prescrire des analyses complémentaires pour trouver la maladie par élimination des pathologies possibles associées aux symptômes, tout comme un spécialiste en intelligence économique ou un enquêteur de police vont chercher à infirmer leurs hypothèses de départ pour restreindre progressivement leur champ d’investigation, ceci pour ne pas éliminer par erreur une information utile ou un suspect. Merci pour cette intéressante piste de réflexion.
Oui c’est un technique très originale pour découvrir son style.