En tant que photographes, nous voulons tous progresser, apprendre de nouvelles techniques, découvrir de nouvelles façons pour transmettre un message à travers nos photos. Lorsque ce désir de progresser nous habite, il faut savoir utiliser certaines techniques pour satisfaire notre soif d’apprendre. Une de celles-ci est le défi 0.7 mètre. Comment ce défi peut-il nous aider? C’est ce que nous explique le photographe Satoki Nagata. (Prenez note que les images de cet article ne sont pas toutes issues du projet Cabrini-Green de Satoki sur les gangs de rue. J’ai préféré montrer ses plus belles photos car certaines sont l’expression de son incroyable créativité.)
Le défi 0.7 mètre
J’ai toujours cherché à devenir un meilleur photographe. Cela m’aide dans la vie à devenir une meilleure personne, car via la photo, j’apprends à découvrir le monde et les gens. Cependant ce n’est pas facile, parfois nous sommes devant une impasse. Nous ne savons plus si nous devons suivre des cours, partir en voyage ou tout simplement tâtonner ici et là dans l’espoir de découvrir de nouvelles techniques au hasard de nos rêveries créatrices. J’ai découvert il y a peu de temps une nouvelle approche pour progresser en photo; il s’agit du défi 0.7 mètre – qui est la distance manimale de mise au point de l’objectif Leica Summicron-M 1:2/50mm ASPH que j’utilise.
Lors d’une de mes conférences concernant mon projet sur Cabrini-Green – un documentaire que j’ai fait avec des gens de cette région à Chicago, qui est une zone dangereuse où les gangs de rue prolifèrent – un photographe m’a demandé: «Comment avez-vous vaincu votre peur de photographier des étrangers que vous ne connaissiez pas, surtout dans une zone aussi dangereuse? J’ai répondu: » j’ai photographié pendant un mois à la distance minimale de mise au point de mon appareil photo Leica, pour connaître la vie de ces gens et devenir un meilleure photographe.
Comment un tel défi peut faire de vous un meilleur artiste de l’image? Vous vous direz peut-être que vous n’êtes pas un photographe de rue, alors en quoi cela vous concerne-t-il? Ce défi vous permettra de dépasser vos limites en explorant une zone cachée en vous. Nous sommes tous plus ou moins timides, car cela fait partie de la personnalité des photographes. Bien souvent leurs appareils photos sont un moyen de créer une barrière être eux et le monde réel. Pour ma part, c’était le cas. Cela m’a par conséquent obligé non seulement à me rapprocher physiquement des individus, mais aussi émotionnellement. Je parlais souvent aux gens que je photographiais, cherchant à les connaître plus personnellement. Je ne suis pas vraiment un photographe de rue, mais cette technique est très intéressante pour une raison très simple: elle bouleverse nos habitudes occidentales basées sur l’individualisme.
Je sais que ce n’est pas vrai pour tous les photographes. certains sont très confortable avec le public, notamment si vous êtes un photographe de mariage ou de maternité. Mais pour tous les autres, sortir son appareil photo en présence d’inconnus, peut être un véritable supplice! C’est à ce moment que le défi 0.7 mètre entre en jeux. Je ne vous recommande pas de faire ce défi tous les jours ou durant des mois, simplement quelques fois par semaines, lorsque vous vous sentirez suffisamment courageux pour faire affronter des inconnus.
L’ère des gadgets tue la créativité
À l’ère de la photographie numérique, où nos appareils nous offrent tant de fonctionnalités, de nombreux photographes ne font que reproduire ce qu’ils voient et leurs styles démontrent un manque de créativité. En s’imposant des limites, cela nous aide à découvrir notre style, mais surtout à progresser, car nos appareils ont pris le dessus sur notre créativité en nous faisait oublier les raisons pour lesquelles la photo est notre passion. Nous devons donc apprendre de nouvelles techniques. Le défi 0.7 mètre en est une parmi tant d’autres. En se concentrant sur des portraits serrés et des plans plus détaillés, nous pouvons affiner notre art. Pourquoi? Parce qu’elle nous oblige à revoir la façon dont nous prenons nos photos.
Avec cette technique, j’ai découvert que j’avais de la difficulté à demander aux gens la permission de les prendre en photo. Lorsque vous demandez aux gens la permission, vous sortez de votre « zone de confort » et vous dévoilez votre vulnérabilité. Cela prend aux tripes, mais la connexion que vous avez avec vos sujets devient un outil inestimable! Je compare le défi o.7 mètre à une thérapie que vous vous imposez. Vous n’avez pas le choix de progresser parce que vous êtes devant votre sujet, nu, sans artifice, sans un téléobjectif qui vous éloigne de lui.
Utilisez votre viseur
Par exemple, j’ai découvert que je devais prendre mes photos en utilisant mon viseur, car la plupart des photographes, lorsqu’ils se retrouvent face à leurs sujets, prennent leurs photos subrepticement de peur d’attirer l’attention sur eux. Pour briser cette barrière, utilisez toujours votre viseur, ainsi vous ne serez pas des « étrangers » mais bien des artistes de l’image cherchant à se connecter avec leurs sujets. L’une des choses que j’aimais le plus au sujet du projet Canrini-Green, c’est que non seulement je me concentrais sur les visages, mais également sur des parties de corps de mes sujets, notamment les mains et les blessures qu’ils s’étaient affligées entre gangs. Pour faire ces photos, je devais communiquer avec eux, échanger et apprendre à les connaître.
À mon grand étonnement, cela m’a permis de progresser. La plupart des photographes se réfugient derrière leurs appareils, et l’utilisent comme une barrière protectrice, alors que nous devrions en faire un outil pour découvrir le monde, le montrer et apprendre sur nous-même autant que sur les autres. Sinon à quoi bon faire de la photo si votre but est de simplement reproduire le réel. Si c’est le cas, cessez de lire cet article, prenez quelques photos et aller voir un bon film. Vous n’avez pas besoin d’en apprendre davantage. Votre appareil fera le travail pour vous.
Contemplez et découvrir
Un autre avantage de cette technique c’est qu’elle nous oblige à prendre notre temps. Mitraillez un sujet est devenu trop facile avec le numérique. Prendre le temps d’observer, de contempler, de nous nourrir intérieurement d’une scène, peut devenir un élément déclencheur positif afin de faire de meilleures photos. Ce n’est pas seulement une façon de montrer notre peur des autres, c’est aussi une façon de découvrir un espace que nous avons tous en nous et qui se manifeste par l’impression d’avoir atteint une limite qui, en réalité, n’existe pas. Je compare cela à la fameuse citation de Robert Capa: « Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez proches. »
En vous imposant cette «contrainte créative», vous ne pouvez faire autrement que de progresser! Vous ne pouvez plus vous réfugier derrière une rationalisation de ce que vous voyez, car vous reprenez le contrôle de ce qui se passe devant vous! C’est comme recevoir une gifle en plein visage! Ça fait mal un instant, mais après vous devenez plus mûr afin de comprendre les situations que vous offre la vie. Car n’est-ce pas là le but de tous photographes; comprendre le monde dans lequel il vit et le montrer avec ses photos !
« Sortir » de ses certitudes
Pour ma part, c’est ce que j’ai expérimenté. Et c’est ce que vous souhaite d’expérimenter vous aussi. Sinon vous vous complairez dans un « espace créatif » qui deviendra d’un ennui mortel; autant pour vous que pour ceux qui regarderont vos photos. Vous vous croirez être un maître de la photo, alors qu’en réalité vous serez un pauvre type enlisé dans ses propres certitudes!
Cette technique est tellement simple, que peu de gens l’utilisent. Ils préfèrent suivre des cours et se faire dire comment photographier. C’est une grave erreur, car vous seul pouvez trouver votre chemin en photo. La prochaine fois que vous serez en panne d’inspiration, jetez aux déchets vos certitudes, vos craintes et votre peur d’échouer. La technique du 0.7 mètre, vous permet de vous dépasser sans vous en rendre compte. Ce n’est pas une technique magique; il faut y consacrer du temps et faire des efforts. Mais après quelques semaines, vous deviendrez de meilleurs photographes car vous aurez franchi le seuil de vos limites!
Il n’y a pas de pires ennemis pour un photographe que de croire avoir atteint ses limites. Je vous l’accorde, nous ne sommes pas tous doté du même talent, mais si dès le départ vous ne croyez pas en vous, en vos capacités, vous ne serez jamais un bon photographe. Vous vous contenterez de regarder ce que les autres font en maudissant votre « petit talent. » C’est en osant croire en vous, que vous deviendrez de meilleurs artistes de l’image. Oubliez les critiques négatives. Photographiez dans un style qui vous ressemble. Utilisez des techniques pour vous améliorer.
Si vous n’avez pas d’appareil photo dont l’objectif est fixe, comme le mien, « pré-focusez » votre optique manuellement à 0,7 mètre, promenez-vous dans les rues de votre ville, et recherchez les scènes idéales. Cette technique n’a rien de magique, mais si vous ne tentez rien de nouveau, vous referez toujours les mêmes photos. Ni un professeur, ni un amis, ni même votre compagne de vie vous permettra de vous affranchir de vos limites !
Au sujet de l’auteur
Satoki Nagata est né au Japon. Après avoir obtenu son diplôme en Neurosciences, il a déménagé à Chicago. Il a choisi de réorienter sa carrière en s’intéressant aux créations visuelles. La photographie est devenue sa passion. Il a appris du bouddhisme zen que notre existence est composée de diverses relations. Cette notion l’a inspiré à utiliser la photographie pour créer des œuvres innovantes. Pour découvrir le travail de cet artiste unique, vous pouvez visiter son site internet.
crédit photo : Satoki Nagata