En photographie, nous assistons à un mimétisme qui peut devenir à la longue une source grandement limitative de notre créativité. Je nomme ce mimétisme : « les sphères d’influences », qui s’insinue dans notre travail par « l’effet papillon ». Pour ceux qui ne connaissent pas ce concept, nous pourrions le définir ainsi: l’effet papillon est un concept qui indique que « les petites causes peuvent avoir des effets plus importants ». Ce concept est même utilisé par les météorologues. Cet effet se manifesterait selon eux, par une modification des conditions météorologiques par le simple fait d’un coup d’aile d’une mouette, lequel serait suffisant pour modifier l’évolution de la météo d’une région. En résumé, les petites actions peuvent entraîner des résultats inattendus.
Imaginez juste un instant 10 000 actions apparemment sans conséquence que nous faisons (ou ne faisons pas) dans une semaine. La grande majorité de ces actions se produisent presque inconsciemment et ne s’inscrivent même pas dans notre mémoire. Mais elles se produisent vraiment et elles ont vraiment un impact sur le monde. L’ensemble de ces effets papillon sont à la base des « sphères d’influence ». Voici pourquoi / comment ces actions, engendrées par l’effet papillon, affectent la photographie.
Les sphères d’influence en photographie
En photographie nous assistons à un effet similaire. Certaines personnes (des photographes), produisent un type d’image et la masse s’empresse de le copier. Cela peut être à la fois conscient et subconscient. Je ne prétends pas être un psychologue, mais j’ai observé qu’après un certain temps, de grands groupes de personnes ont tendance à agir et penser de la même façon – s’ils passent suffisamment de temps ensemble. Et ceux qui n’adhèrent aux diktats d’un groupe, se sentiront mal à l’aise ou seront rejetés. Je suppose que c’est une forme de normalisation subconsciente qui se produit pour maintenir la paix.
Pour revenir à la photographie, nous pourrions résumer cet effet, par des sphères d’influence, qui affectent la façon dont certains photographes réalisent leurs images. Il y a bien sûr des groupes qui partagent des points de vue similaires; de tels lieux sont géniaux pour se réconforter l’ego, mais ils peuvent également entraîner une stagnation créative. La créativité, par définition, est un concept qui exige que quelque chose de tangible qui n’existant pas avant, soit créé. Je ne me souviens pas qui a déjà dit cet énoncé, mais je suis d’accord avec lui : « tout ce qui est nouveau maintenant était ancien autrefois ». Cet énoncé, nous démontre bien que la créativité est une qualité qui peut se manifester à toutes les époques, dans tous les pays. Mais pour que cela se produise, un individu / photographe, doit être dans un état favorisant la réceptivité de ce qui est nouveau, ou ce que nous appelons plus communément avoir « une ouverture d’esprit ».
L’ignorance et la stagnation
Je pense qu’il se produit la même chose avec la photographie: la stagnation est devenu un élément déterminant et elle ne cesse de croître. Voici un exemple. Après avoir pris une photo avec un Hasselblad, quelqu’un m’a demandé : « Quel filtre Instagram avez-vous utilisé ? » J’aurais bien aimé tapoter cette personne idiote, mais cela m’a permis de réfléchir. Si la connaissance des photographes ne dépasse pas quelques années, ils n’ont aucune conscience de ce qu’ils font. C’est la raison pour laquelle la plupart des filtres « pop art » se ressemblent tous. Presque tout ce que nous faisons, se rattache à des influences antérieures, et ceux qui s’en détachent peuvent produire de meilleures photos, car les individus dotés de telles connaissances, ne cherchent pas à reproduire, mais plutôt à créer. Tous les photographes devraient se poser ces questions avant de prendre leurs photos: Suis-je conscients du contexte historique ? Est-ce que cela apporte quelque chose de nouveau à la photographie ? Si vous ne contribuez pas à l’essor de la photographie, que faites-vous là ? Vous ne faites que contribuer à sa stagnation, même si vous n’en avez pas conscience.
Je crois que l’ignorance de l’histoire – ou du moins d’un certain contexte – limite notre créativité; qu’il s’agisse d’une technique, d’un traitement, d’un style ou d’un équipement. Nous sommes tous soumis à des sphères d’influence, que nous en ayons conscience ou pas. Ces sphères se propagent comme un effet papillon: un petit groupe commence à produire un style de photos, puis les autres, sous l’effet papillon, font la même chose. Il en est de même pour une grande partie de nos habitudes. Un autre exemple; mon écriture est affectée par beaucoup de choses: mes propres expériences personnelles, ce que j’aime lire et quelles autres influences extérieures qui m’ont touché pendant un certain temps. Je suis sûr que, compte tenu du sujet et de l’objectif du message de mon texte, chaque écrivain sur la photographie, écrirait mon texte d’une manière différente, selon leurs propres expériences.
Un autre exemple
Par exemple, l’image de la montre de la photo d’ouverture de cet article, est une nouvelle version de la montre qui a accompagné les astronautes d’Apollon vers la lune. La technologie s’est améliorée (lentement, car c’est une industrie basée sur la tradition et le patrimoine), les prix ont augmenté, mais l’ADN original est encore intact. Un bon nombre de personnes achètent cette marque de montres parce qu’elle est un symbole d’un statut social, mais rarement parce qu’ils pensent à la lune.
Plusieurs auteurs ont déjà écrit sur cet effet, car ce dernier influence nos vies, beaucoup plus que vous le croyez. En photographie, ces sphères d’influence « assèchent » notre créativité, car elles sont limitées par plusieurs facteurs, notamment notre culture, nos expériences, les gens que nous rencontrons, les « professionnels » de l’image qui croient que leur technique est la meilleure, etc. Alors avant de créer, posez-vous cette question: jusqu’à quel point la décision d’un spectateur qui choisit de regarder vos photos influence-t-elle votre travail ?
L’évolution de notre travail personnel est habituellement / et devrait être un processus continu. Je connais trop de photographes qui, bien que techniquement ils sont très bons, ne font que reproduire ce qui les a influencé. Ils ne créent rien, ils reproduisent par effet papillon, ce qu’ils ont déjà vu. Je vous donne un dernier exemple; j’ai un blog. Plusieurs nouveaux lecteurs se sentent perdus en me lisant, car j’ai personnalisé ce site pour qu’il soit à mon image. Mais il est si différent des autres, que ces lecteurs doivent s’adapter avant de se sentir à l’aise. J’ai pris conscience des sphères d’influence qui contribuaient à influencer mes choix pour la création de mon blog et j’ai créé un site pour qu’il me ressemble.
Choisir son chemin
Si vous vous contentez de reproduire plutôt que de créer, c’est que vous n’avez pas pris conscience de ces influences extérieures ou alors c’est que vous avez choisi le chemin le plus simple; celui de reproduire ce qui a déjà été fait. Nous vivons dans une « société libre », vous avez donc le droit d’emprunter le chemin le plus facile. Mais ne vous présentez pas alors comme un être créatif, car vous ne faites que reproduire ce qui existe déjà. Pour ma part j’ai choisi le chemin le plus ardu; celui de créer en ne me laissent pas influencer par l’effet papillon. J’ai pris conscience de cet effet, et je l’utilise pour m’en éloigner le plus possible. Mes photos sont le reflet de qui je suis, et non de ce qui a déjà été fait. C’est la raison pour laquelle elles semblent étranges pour quelqu’un qui ne me connaît pas.
En progressant, vous aussi vous pouvez vous soustraire à l’effet papillon. Mais cela exige simplement que vous sachiez qu’il existe. Le reste est entre vos mains; vous pouvez choisir de reproduire, mais ne vous attendez pas à recevoir des éloges de ma part. Depuis que je m’intéresse à la photo, j’ai vu des milliers d’images. Plus rien ne m’étonne, à moins bien sûr de créer ce qui n’a jamais existé. Cela semble impossible. Lorsque nous nous présentons comme des créatifs, rien ne devrait être impossible !
Je vous recommande donc au final d’étudier attentivement votre travail, afin de prendre conscience jusqu’à quel point les sphères d’influence « dirigent » vos choix et vous limitent en tant que photographe. Sinon, suivez la masse, elle vous indiquera ce que vous devez faire. Vous perdrez non seulement votre créativité, mais également une part importante de votre individualité.
Au sujet de l’auteur
Ming Thein est un photographe professionnel de produits. Il travail également pour Hasselblad et est consultant pour Zeiss. Vous pouvez découvrir son travail en visitant sa page Facebook ou Instagram. Mais il ne fait pas cela de gaieté de cœur. Il nous explique :
Pendant très longtemps, j’étais contre Instagram simplement à cause de la médiocrité qu’il perpétuait. Prendre une photo de merde de votre animal de compagnie, puis utiliser des filtres et en faire un chef-d’œuvre, c’est totalement ridicule. Mais lentement, les choses ont changé. Vous pouvez désormais télécharger des images que vous n’avez pas prises avec votre téléphone. Mais il est clair qu’il est tout à fait inutile pour un photographe sérieux d’utiliser ce service de partage en ligne. Les images que je publie sont ce que je considère des photos «sérieuses»: c’est-à-dire pensées, conceptualisées, exécutées, organisées, traitées, puis organisées à nouveau. Ce processus se fait pendant quelques mois, lorsque l’objectivité dépasse l’excitation initiale.
Je ne photographie pas les choses qui sont populaires ou intéressantes pour la plupart des gens, et je ne montre pas tout ce que je considère comme «sérieux», en partie parce que je ne suis pas d’accord avec leur définition de droit d’auteur et aussi parce que c’est un mauvais forum pour les photographes qui veulent montrer la subtilité tonale d’une photo.
Alors ceux qui s’attendent de voir les nouveaux chefs-d’œuvre de Ming Thien sur Instagram, seront déçu. Pour ma part, je crois qu’il fait cela pour faire connaître la marque Hasselblad avant qu’un employé dédié à cette tâche le remplace définitivement. Vous pourrez comprendre ses motivations en consulter cet article que j’ai écrit il y a quelques jours.
2 Responses
Article très intéressant qui permet de mettre à l’épreuve ses convictions personnelles.
Il est effectivement important de bien comprendre d’où proviennent nos influences personnelles pour aussi apprendre à mieux se connaitre et ainsi mieux reconnaître la route que nous devrons suivre pour progresser.
Parallèlement à ça, je pense qu’il y a aussi de façon intrinsèque nos propres point de vue sur la vie qui dépendent aussi beaucoup des expériences que nous avons réellement vécues. Pour moi, cette partie n’est pas négligeable et est le terreau à privilégier sur lequel faire pousser notre créativité.
L’expérience de chacun est unique et elle influe grandement nos centres d’intérêts et nos points de vues.
Il est donc nécessaire de passer au delà de forme pour justement développer son propre fond.
A cela, la forme doit renforcer les messages contenus dans les photographies de manière à mieux
être compris par le spectateur.
Bonne journée.
Vincent (https://initiation-photo.com)
Très bon article.