La « qualité de la lumière » est l’un des concepts que les photographes utilisent le plus souvent, mais peut-être devrions-nous l’expliquer un peu. De même, nous sommes tous un peu coupables de « surutiliser » cette énoncée: « bonne lumière / mauvaise lumière ». Mais qu’est-ce que cela signifie-t-il en réalité? Dans une certaine mesure, nous, photographes, sommes programmés à la fois avec des idées préconçues sur ce qui constitue une lumière favorable – sur la base de notre travail ou de celui des autres – et ce qui constitue une «mauvaise» lumière.
Nous avons également nos propres préférences esthétiques – certains d’entre nous peuvent préférer une lumière plus plate ou plus diffuse, en raison du lieu où nous demeurons (au nord par exemple) ou être prédisposé à voir et accepter une lumière plus contrastée, car nous habitons une région de la planète où la lumière est constamment plus dure, plus directe. Cependant je crois qu’il n’y a pas de lumière vraiment mauvaise, il n’y a que l’adéquation pour un sujet donné et un ensemble de préférences esthétiques. Pour bien comprendre cela je dois faire appel à quelques notions de physiques, mais rien de compliqué.
Je pense que le moyen le plus simple pour comprendre qu’une lumière est ni bonne ni mauvaise est de la décomposer en ses quatre caractéristiques de base: l’intensité, la directionnalité, la propagation et la couleur. Nous pourrons ainsi mieux comprendre qu’une lumière est objectivement ni bonne ni mauvaise, mais plutôt le résultat d’une appréciation qualitative qui change selon les photographes. C’est important de bien comprendre cela car bien souvent elle limitera notre créativité, croyant être en présence d’une mauvaise lumière.
Quatre caractéristiques pour comprendre la lumière
1. L‘intensité est un proxy pour le contraste: quelle est la luminosité de votre source de lumière ? Donc, quelle est sa luminosité par rapport aux autres sources ambiantes ? Plus une source est intense, plus les ombres qu’elle produira seront nettes derrière votre sujet. Lorsque la source est si intense et que le contraste est tellement fort, qu’elle dépasse la plage dynamique d’un capteur, certaines parties de la scène seront en blanc ou en noir. Cela peut être un défaut si votre intention est de représenter clairement toutes les parties d’un sujet, mais cela peut également avoir une valeur artistique si vous souhaitez cacher ou obscurcir certains éléments.
2. La directionnalité décrit la diffusion: d’où vient la lumière? Une source est directionnelle lorsque tous les rayons lumineux proviennent d’un même point. Une source collimatée – par exemple l’embrasure d’une porte – est encore plus fortement directionnelle car elle est quasiment parallèle et seulement la lumière qui se déplace dans une direction sera perçue. Dans des situations plus pratiques, une source collimatée peut être le sol, le ciel ou l’embrasure d’une porte. Les ombres projetées sont fortes et la directionnalité est intense. Une source omnidirectionnelle sera au contraire diffuse derrière un objet. Il y a une directionnalité, lorsqu’il y a également une diffusion de 180 degrés devant un objet. Dans l’image ci-dessous, nous avons une source collimatée qui est très directionnelle. L’image d’ouverture de cet article est un autre exemple d’une source collimatée, mais elle est moins forte car le mur diffuse une certaines partie de la lumière.
Remarque: toute lumière et directionnelle et donc diffuse par la distance. Dans un vide parfait, ce n’est pas le cas, car même l’espace interstellaire contient quelques atomes d’hydrogène ou d’hélium parasites occasionnels, qui sur des millions d’années-lumière, créeront une diffusion. L’effet est évidemment beaucoup plus rapide dans les matériaux plus denses. Donc sur terre une source de lumière est rarement parfaitement directionnelle car il y a beaucoup d’éléments parasites. Nos yeux peuvent croire voir une directionnalité quasi parfaite car nous nous somme habitué à un certain degré de diffusion, mais dans les faits elle n’existe pas.
3. La propagation définit la largeur couverte par une source lumineuse – elle est liée, mais pas parfaitement identique à la directionnalité, car vous pouvez avoir une source proche d’un sujet qui se traduira par un point directionnel (et peut-être une intensité élevée s’il n’y en a pas d’autre source secondaire) – ou la même source pourrait être large et couvrir une plus grande partie de la scène. Vous pourriez avoir également une source éloignée qui est étroite mais qui couvre toute une scène en raison de la distance, des angles et de la diffusion. Dans la photo ci-dessous, le soleil produit une lumière ayant une grande directionnalité, mais avec une forte propagation produite par le sol et les nuages.
4. La couleur est très simple à expliquer: quel est le spectre dominant? La couleur de la lumière entrante affecte la couleur de la lumière réfléchie sortante d’un sujet. La surface d’un sujet agit comme un filtre, absorbant certaines longueurs d’ondes et en reflète d’autres. C’est bien sûr la raison pour laquelle les sujets ne sont pas monochromes sous la lumière blanche – la nature de l’objet détermine ce qui est absorbé et ce qui est reflété. Si votre lumière entrante est absorbée par votre sujet, la lumière réfléchie sera minimale et le sujet apparaîtra sombre ou sans contraste – par exemple un objet bleu sous une lumière rouge. Une complémentarité est un autre exemple. Dans la photo ci-dessous, les objets sont « des porteurs de couleurs » qui se complètent bien.
Une scène qui a ostensiblement une seule source de lumière – ce qui est virtuellement impossible puisque tout ce qui se trouve sur la Terre reflète dans une certaine mesure la lumière, sinon il n’y aurait aucun moyen de se voir – cela crée une certaine complexité car cela signifie que chaque surface est une source en elle-même. Heureusement, la plupart du temps, les surfaces sont si rudes (d’un point de vue microscopique) que la lumière sera relativement uniforme et ne créera pas vraiment de sources secondaires de lumière (et les ombres qui l’accompagnent). Ce qu’il faut savoir c’est qu’il y a toujours de la lumière réfléchie quelque part. Même l’atmosphère créée une diffusion – pensez au brouillard ou à la fumée. En photographie, nous nous inquiétons de la qualité d’une source de lumière. Je crois que le plus important est de comprendre qu’il y a une hiérarchie des caractéristiques de la lumière. Cette compréhension dépasse une simple approche subjective de la qualité de la lumière, bien ce celle-ci soit en photographie inévitable.
Les ombres
Les ombres sont la seule façon de projeter les trois dimensions en deux et produire un semblant d’ordre spatial. À des échelles plus grandes. Les ombres nous disent ce qui se passe devant nous et ce qui s’y trouve. À l’échelle microscopique, les ombres créent de la texture – sans micro ombres (micro-textures), vous ne pourriez pas dire si une surface est rugueuse ou lisse. Les surfaces réfléchissantes apparaissent réfléchies car il n’y a pas d’ombre (et donc pas de diffusion), ce qui signifie que vous voyez ce qui se trouve immédiatement devant cette surface. Les réflexions peuvent être intéressantes et donner l’impression qu’il y a plusieurs sources de lumière sans perte de luminosité, même si vous n’avez qu’une seule source principale véritable. Les couloirs formés par les gratte-ciel dans nos villes modernes en sont un bon exemple: il est possible d’avoir un sujet éclairé de tous les côtés grâce à tout ce verre qui agit comme un miroir.
L’interprétation des caractéristiques
Traditionnellement, je pense que lorsque nous disons « une bonne lumière», ce que nous voulons vraiment dire, c’est qu’il existe une directionnalité, une diffusion étroite et un différentiel de bonne intensité. À savoir le contraste et les ombres. Quand il y a une «mauvaise lumière», nous voulons dire qu’il y a trop de diffusion et donc pas suffisamment de différence entre l’intensité et la diffusion. Cependant, trois scénarios nous viennent à l’esprit ici: une situation où vous maîtrisez parfaitement toutes les sources de lumière. Le deuxième scénario est l’endroit où la qualité de la lumière correspondant au sujet se trouvera. Par exemple, le portrait d’une femme âgée nécessite un peu plus de diffusion. Si vous changez la lumière et la diffusion d’un portrait d’une dame, l’esthétique ne sera pas adaptée au sujet. Dans l’image ci-dessous, la diffusion est trop forte; nous avons donc une photo « ennuyante ».
Le troisième scénario: il «n’y a pas de lumière». Dans une situation extérieure très couverte – pensez à Londres en hiver – il n’y a apparemment aucune ombre, mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas une directionnalité. D’une certaine manière, vous pouvez toujours la «forcer» – travailler en début et en fin de journée avant le lever et le coucher du soleil. Ou si vous pouvez déplacer votre sujet, utilisez des arcades et des portiques, ainsi vous n’aurez qu’une source diffuse de lumière qui sera d’un projetée d’un seul côté – ce qui est idéal pour de nombreux types de travail.
Un concept qui n’est pas maîtrisé
En définitive, « une lumière de qualité » est un concept éminemment subjectif qui repose sur des bases propres à la lumière, notamment: l’intensité, la directionnalité, la propagation et la couleur. En réunissant ces quatre caractéristiques, vous obtiendrez une « sorte » de lumière qui vous plaira ou non. Mais d’une façon objective, la lumière étant un phénomène physique, il n’y a pas de bonne / mauvaise lumière, il n’y a qu’une interprétation par effet d’une adaptation culturelle ou personnelle d’un ensemble de longueurs d’ondes. En photographie, certains professionnels affirmeront qu’elle est un facteur clé dans la création d’une image réussie car elle permet de créer des « images stylisées ».
Cette définition de la qualité de la lumière est trop limitée. Elle ne tient pas compte des facteurs précédemment énoncés. Vous devez savoir que la hiérarchie des caractéristiques et la subjectivité sont les facteurs clés d’une bonne / mauvaise lumière et non la lumière elle-même. Les photographes s’attardent trop à l’aspect subjectif et pas suffisamment à la hiérarchie des caractéristiques. C’est la raison pour laquelle nous avons tant de définitions de ce qu’est une bonne ou une mauvaise lumière.
Une variabilité
Cela semble évident, mais plusieurs photographes croient – à tort – qu’il faut savoir manipuler la lumière pour que celle-ci soit bonne ou mauvaise. Étrangement la qualité de la lumière change d’une époque à une autre, d’un photographe à un autre. Alors qui a raison ? La réponse à cette question est simple: c’est vous, votre interprétation subjective et la connaissance des caractéristiques de la lumière. Tout le reste n’a aucune valeur si ce n’est de faire croire que ces professionnels détiennent la vérité. Si vous débutez en photo, ne vous laissez pas influencer par ces gens, vous limiterez votre créativité. Pourquoi ces gens affirment savoir ce qu’est une bonne / mauvaise lumière ? Parce qu’ils ne comprennent pas les caractéristiques de la lumière et sont donc porteurs d’un concept qui n’a plus lieu d’être; à moins de vouloir se limiter.
Au sujet de l’auteur
Ming Thien est un photographe professionnel qui est diplômé en physique de l’Université d’Oxford en Angleterre et chef de la stratégie chez Hasselblad. Vous pouvez découvrir son travail en visitant sa page Facebook, Flickr, ou sur Getty Images.