Je pense qu’il est très important de démystifier quelque chose qui a touché la communauté de la photographie et l’artisanat en général, surtout depuis les premiers jours du numérique. Je parle de Photoshop; oui, ce mot sale qui est maintenant associé à des photos hyper post-traitées, à des canulars et à de fausses descriptions et représentation de la réalité. Je pense que jamais un outil créatif n’a été aussi mal compris et mal utilisé par les photographes. Le mot « Photoshop » en soi est presque devenu synonyme de modification d’une image au point qu’elle n’est plus représentative de l’objet ou du sujet d’origine.
L’intégrité selon les retoucheurs
Bien qu’il soit évidemment possible de transformer une Oprah en une Miley Cyrus, le faire dépasser ce qu’est la photographie, entre pleinement dans le domaine de l’illustration numérique. Cela ne veut pas dire que les retoucheurs ne peuvent pas transformer une ou deux illustrations numériques. Toutefois, trop souvent, une approche excessivement lourde est appliquée à toutes les corrections effectuées sur une image. Il est très important d’avoir un œil sur le sujet original, une sensibilité à l’éclairage naturel préexistante et de faire cela d’une manière transparente et imperceptible. Cela s’applique non seulement à la retouche lourde de qualité commerciale (comme le lissage de la peau et l’élimination de la poussière ou des reflets indésirables), mais aussi aux corrections photographiques normales pendant le post-traitement – je pense spécifiquement aux ajustements, tels que la saturation.
C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis un grand fan de l’utilisation d’une tablette et d’un stylet d’édition. Les capacités de ces appareils d’avoir un contrôle très précis sur les ajustements, par exemple, la taille et la densité, peuvent varier en fonction de la pression ou de l’angle du stylet. Le post-traitement devient alors comme un dessin ou une peinture. Pour ma part, j’aime utiliser la série Wacom Intuos en raison de leur haute précision et de leur sensation naturelle à la pression.
Des règles de base
Il y a cependant quelques règles valables que tous les photographes devraient garder à l’esprit lorsqu’ils sont en train de retoucher et de post-traitement une photo:
- Il est possible d’exagérer- Cette règle est très simple à déterminer. Cependant, c’est là qu’ il devient utile de voir beaucoup d’autres photos. En analysant un grand nombre de photographies. Vous finirez par développer un sens de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas, et plus important encore, vous saurez quel traitement est nécessaire pour obtenir le look désiré.
- Si vous pouvez voir qu’une image a été retouchée, vous êtes allé trop loin – C’est une autre règle qui facile à comprendre. Si les corrections sont très évidentes, l’image résultante n’est plus une photo, mais une illustration et ce, même si ce n’est pas l’intention du photographe.
- Faites les choses plus doucement – Cela permet un meilleur contrôle ainsi qu’une intégration des modifications avec la structure de l’image originale. Il sera également beaucoup plus facile d’annuler certains changements .
- Le type de photographie n’exige pas les mêmes traitements – Je crois que si vous faites de la photographie documentaire ou de reportage qui est destinée à des nouvelles rédactionnelles ou à des fins de renseignement d’un événement, vous ne devriez jamais post-traiter vos photos. Elles devraient contenir une information non altérée.
Le dernier point m’amène à la deuxième moitié de mon article. Dans une situation où une photographie est destinée à témoigner d’un événement, d’un objet ou d’un lieu, l’intégrité est primordiale. Cela comprend les nouvelles, les reportages, la documentation juridique ou toute sorte d’archive ou de référence historique. Bien qu’il soit parfaitement acceptable que la couleur, le contraste et la tonalité générale d’une image soient modifiés de manière à mieux présenter le sujet, il n’est certainement pas acceptable de modifier ce qui constitue le contenu de l’image. L’utilisation extrême de l’outil « Clone » et plus notoirement tout ce qui se trouve dans le panneau « Outils », ont cimenté Photoshop dans la conscience populaire comme l’outil de choix lorsque la tromperie délibérée est l’intention. Nous en voyons souvent dans les magazines féminins où une vedette a été « remodelée ».
Savoir déterminer ce qui acceptable
Cela dit, je pense qu’il est tout aussi important de définir ce qui est acceptable. Cela comprend l’exposition, la récupération dans ombres et des HL, les courbes, les niveaux, une désaturation / conversion en noir et blanc et des réglages mineurs de la teinte et de la saturation. La teinte et la saturation sont également un peu limite. C’est parce qu’un changement important dans la couleur d’une photographie ou d’un sujet peut entraîner des interprétations très différentes, par exemple, les carottes bleues qui se produiraient naturellement seraient un évènement remarquable, mais si cela a été fait lors du post-traitement, ce n’est plus un événement important. Il appartient donc au photographe de s’assurer que la couleur est aussi précise et fidèle que possible. L’alternative est de produire une photo en noir et blanc. Cela a pour effet d’éliminer les aspects psychologiques de la couleur de l’image.
Déterminer ce qui est naturel et de ce qui vient de Photoshop est devenu de plus en plus difficile depuis la popularité croissante du RAW. Il est pratiquement impossible de repérer les retouches bien exécutées. Toutefois, il est relativement simple de savoir si une photo (un RAW) a été modifiée lorsque vous êtes un photographe professionnel. La première manifestations d’une photo altéré est que tout semble trop parfait, surtout si la réalité d’un sujet est que ce dernier est sale, rugueux et plein de défauts. Une image qui doit servir de témoin documentaire devrait également refléter cela. Il est possible (mais hautement improbable) qu’un sujet soit parfait et sans défaut. Et c’est là qu’une inspection minutieuse devrait commencer.
Le deuxième indice est beaucoup plus subtil, caché dans les caractéristiques de l’appareil photo. Si de micro-textures n’est pas correctement répliquées dans une zone retouchée d’une image, il sera assez évident que l’image a été retouchée. Bien qu’il soit possible d’avoir des images avec aucun bruit,, il est presque impossible de répliquer parfaitement le motif du bruit natif du capteur ou d’avoir aucun bruit dans les ombres. Il est également possible de révéler ces incohérences soit par une manipulation extrême – qui amplifie les différences entre les zones retouchées et environnantes – soit par l’utilisation de logiciels d’analyse statistique.
Savoir déterminer la profondeur des retouches
Il existe une grande zone grise entre la photographie documentaire et la photographie conceptuelle ou artistique. Dans cette zone crépusculaire abrite la photographie commerciale. D’une manière compréhensible, il est hautement souhaitable de rendre votre produit ou les gens les plus attrayants. Mais il y a aussi la question de l’intégrité. C’est là que « trop de Photoshop » peut vous mettre en difficulté. Lorsqu’une photographie ne représente plus le produit ou le service réel que vous allez recevoir, dans certains pays, il est tout à fait raisonnable de prendre des mesures légales pour atteinte à la réputation ou pour fausses déclarations.
Un très bon exemple est la restauration rapide. Les centaines de fois que je suis allé chez McDonalds, je ne me souviens pas avoir jamais eu un hamburger qui ressemblait à quelque chose qui se trouvait dans le menu. La laitue naturelle n’est tout simplement pas aussi verte la plupart du temps, et les hamburgers sont parfois trop gros dans le menu. Je me souviens également d’un article circulant sur internet qui montrait combien d’efforts et de planifications étaient utilisés dans la préparation d’un hamburger: il y avait des « pièces de rechange » pour tout et une énorme pile d’ingrédients qui seraient normalement non comestibles. Les photos dans ce menu dépassaient la réalité. C’était évidemment avant Photoshop, car maintenant, un bon retoucheur, produirait une image qui donnerait le goût d’acheter un repas de cette chaîne de restauration rapide et ce, même si votre assiette ne serait pas plus ragoûtante ou qu’elle ne correspondrait pas à la réalité.
C’est quelques fois acceptables
Je traite personnellement de cette question sur une base assez régulière. Comme vous le savez, je suis un photographe commercial dont le travail couvre des sujets qui sont censés être attirants: montres chères, gastronomie et bâtiments avant-gardistes. Il existe donc un certain degré de retouche nécessaire pour que les sujets soient aussi parfaits que possible. Vous pouvez raisonnablement vous attendre à ce qu’il n’y ait pas de gouttes de sauce en vrac autour de votre entrée, ou de la poussière et des rayures sur votre nouvelle montre. Mais où allez-vous vous arrêtez-vous si vous devez rendre des tomates plus rouges, et de la viande plus dorée ?
Pour compliquer les choses, il est également difficile de trouver un angle unique et esthétiquement agréable (une exigence de la photographie commerciale) contre la représentation d’une perspective qu’une personne normale pourrait raisonnablement s’attendre à voir. Je n’ai honnêtement pas de réponse à cette question. La règle directrice que je m’impose est d’avoir une image aussi naturelle que je peux faire, même si ma photo est de nature conceptuelle et nécessite la composition de plusieurs images (ce qui arrive fréquemment pour gérer une large gamme dynamique tout en conservant la qualité de l’image ou en photographiant des prototypes qui pourraient ne pas être représentatifs de la version finale. Un spectateur attentionné ne devrait pas pouvoir déterminer quelle partie d’une image a été retouchées ou composées.
Pour mon travail, je ne fais jamais de retouches, je cherche plutôt à produire des couleurs aussi fidèles que celles de l’objet original. Les ajustements de la teinte et de la saturation sont effectués uniquement dans le but d’avoir une couleur plus précise. Le travail artistique est essentiellement une question de savoir-faire quant au niveau du dosage des retouches. Si je veux faire de l’illustration, je ferai de l’illustration. Mon style est principalement naturel, j’essaie de faire le moins de retouche que possible.
La responsabilité revient aux photographes
En aucun cas, je dis que ces règles doivent être rigoureusement suivies pas tous les photographes, mais elles doivent d’être prises en compte en fonction de l’utilisation prévue et le but que vous voulez atteindre avec vos photographies. Dans l’intérêt de maintenir votre réputation et l’intégrité de la profession, les photographes devraient être prêts à divulguer en tout temps si une image a été modifiée ou retouchée. L’édition et la retouche d’images existent depuis plusieurs années, bien avant Photoshop – il y avait même des services pour ajouter de la couleur aux images en noir et blanc – mais ces retouches n’ont jamais été perçues comme une menace pour l’intégrité des images car elles étaient limitées en raison de l’absence de logiciels évolués et performants. Les outils disponibles étant rudimentaire, il était presque impossible d’obtenir un résultat parfaitement naturel ou de pousser trop loin une altération de la réalité.
Aujourd’hui, il incombe aux photographes de faire en sorte que le public puisse ressentir « un lien d’appartenance » en regardant une image et que celle-ci corresponde à leur réalité. Nous pourrions développer ce sujet encore plus profondément, mais en résumé, il est question de l’intégrité de notre profession. Vous pouvez faire les ajustements que vous voulez, mais ne soyez pas surpris si quelqu’un vous fait une remarque désobligeante. Cela vous prouvera tout simplement que vous avez altéré la réalité à un tel point, que votre photo ne correspond plus à la réalité. Cela peut dans certains cas être flatteur, comme la photographie boudoir où un modèle veut avoir une représentation « embellissante » de ce qu’il est, mais vous devez savoir quand il faut que vous vous arrêtiez, sinon il ne se reconnaîtra plus lorsqu’il se regardera dans la réalité.
Cette règle s’applique selon moi à la plupart des types de photographies. Vous pouvez jouer avec la réalité, mais ne soyez pas surpris si on vous fait la remarque que vos photos semblent irréelles !
Au sujet de l’auteur
Ming Thien est un photographe américain de produits travaillant pour Hasselblad. Il a une clientèle internationale diversifiée, y compris Nissan, Chun Wo Engineering and Construction, Jaeger Le-Coultre, Van Cleef & Arpels, Richemont, Swatch Group, Hijjas Kasturi Architects, Tange Associates Architects, Sunway Group et Maybank. Pendant 5 ans, il a été éditeur en chef pour un magazine Malaisie. Il est également membre de Nikon Professional Services au Royaume-Uni et consultant chez Carl Zeiss. Vous pouvez découvrir son travail en visitant sa page Facebook ou Flickr.